Cette communication, en forme de récit et d’analyse d’expérience, propose de revenir sur une série de performances cinématographiques, intitulées Scies sauteuses, produites entre 1999 et 2003 par le duo Vu pour vous… (Bruno Elisabeth et Gérald Groult - http://vupourvousduo.blogspot.com). Généralement montrées dans des salles de cinéma, elles se sont notamment appliquées à questionner le cadre de l’écran cinématographique, tout en bousculant le cérémonial et le dispositif de la séance (Elisabeth 2006, 2018).
Cette communication s’articulera autour de deux axes. Tout d’abord celui de la déconstruction du cadre-écran par le déploiement d’une constellation d’images (Immelé). C’est ensuite un au-delà du cadre-écran qui sera inspecté, induit par l’action des performeurs dans la salle. Ces deux approches nous amèneront à considérer ces travaux, dans leurs réussites, leurs écueils et leurs échecs, comme une modeste, mais néanmoins grisante contribution à cet « effet cinéma » (Bouhours, Rongier), ce cinéma élargi, cet au-delà du cinéma conventionnel (Youngblood).
Ces séances qui pouvaient mobiliser une quarantaine de projecteurs, tous formats confondus, permettaient la multiplication, la perméabilité et l’intrication des cadres. L’écran s’offrait alors comme une palette, sur laquelle les cinéastes-performeurs composaient en direct, en réaction aux images, aux accidents techniques. La gamme des manipulations passait par les modifications de focales, les déplacements de projecteurs et des cadres-images, jusqu’à l’anamorphose... Dans ce spectacle, tel un amas compact, bouillonnant et erratique fait d’enchevêtrements de cadres, la question n’est plus uniquement celle de l’association des images, mais aussi celle de l’interstice entre deux images et celui d’un au-delà du cadre (Belson, Vanderbeek).
Le spectateur n’assistait pas seulement au spectacle, il s’y incorporait (Barjavel). Si le point focal du cadre-écran persistait, l’attention était fréquemment détournée par la présence dans la salle d’une intense activité. Les performeurs, derrière leurs batteries de projecteurs, tendaient à capter l’attention, cherchaient à dépasser le contexte autoritaire et figé de la salle (Lemaitre, Isou, Marc’O…).
Ces jeux ouverts, hautement aléatoires, constitués d’images de seconde main (Blümlinger), livrées aux collisions, ne pouvaient être présentés qu’une seule et unique fois (Eco), elles pressentaient certains usages actuels, conduisant à l’explosion et à la démultiplication des cadres, un cinéma « Sauvage, déréglé, proliférant bien plus que disparaissant » (Dubois). Elles proposaient des agencements qui tentaient, dans l’espace imparti de l’écran conventionnel, de traduire une expérience de la modernité dans son rapport à l’afflux des images. Elles étaient également liées à une fascination pour le spectacle cinématographique et à sa capacité d’écriture mnésique. À contrevent d’un cinéma « Narratif-représentatif-institutionnel » (Eyzikman) ces séances proposaient un cinéma ou l’absence de trame narrative et la dé-linéarisation (Deleuze) contribuait à l’élaboration d’un anti-art, basé sur le parasitage des mass-médias (Conner), visant à dépasser le vrac d’un patchwork totalement aléatoire pour y faire émerger le sens.