Si le cinéma peut, par certains aspects, ainsi que le notait André Bazin dans Ontologie de l’image cinématographique, être considéré comme une « défense contre le temps » et plus encore comme « la momie du changement », le cinéma de Bill Morrison s’impose comme une parfaite mise en application de cette idée.
Depuis le milieu des années 1990 ce réalisateur américain, maintenant incontournable, se penche avec minutie sur certaines archives cinématographiques institutionnelles. En auscultant, disséquant, décomposant des films sur support nitrate, pour la plupart engagés dans un processus de décomposition avancé, il compose une ode au cinéma des premiers temps, tout en rendant hommage à ses artisans. Face à l’urgence d’un processus irrévocable, il révèle toute la fragilité et l’instabilité de ce support argentique et manifeste la puissance évocatrice de sa disparition progressive. Véritable poésie de la décrépitude, ces films, au delà de manifester la fragilité de leur support d’origine, transcendent l’inexorable travail du temps sur la matière et la beauté fascinante de cette plastique aléatoire et transitoire.
Dans une époque où la disparition du support film est largement annoncée, voué qu’il est à ne rester qu’une affaire de spécialistes, les deux œuvres présentées ce soir nous invitent à relire un cinéma à jamais disparu et à le « sauver d’une seconde mort spirituelle » dans un ultime acte de création.
- The Mesmerist, Bill Morrison / Num. / 2003 / 16min
« Dans ce remontage du film de James Young The Bells (1926), un aubergiste (Lionel Barrymore) ayant commis un meurtre fait un rêve au cours duquel il visite une fête foraine où il est démasqué par un hypnotiseur (Boris Karloff) »
Bill Morrison.
- Decasia – A Symphony of Decay, Bill Morrison / Bluray / 2002 / 70min
“Decasia a été réalisé en 2002. Il est constitué de divers fragments en noir et blanc du début du siècle dernier jusqu'aux années 40, certains fortement décomposés, mais qui en viennent à composer, tout en grisaille, une somptueuse allégorie de la survivance, du cycle de la création et de la destruction. Initialement, ce film était une commande du Ridge Theater, qui devait fournir un accompagnement visuel pour une symphonie de Michael Gordon dans le cadre d'une performance multimédia à Bale en Suisse, avec le Basel Sinfonietta. On peut dire que depuis cette première présentation, la donne s'est quelque peu inversée. Non que la symphonie de Gordon soit négligée ou reléguée au second plan, elle est au contraire très présente et il est difficile de concevoir le film sans elle. Il semble toutefois que, au fil des présentations et de l'intérêt croissant pour cette œuvre, ce soit désormais le film qui est l'objet premier, dans lequel s'est intégré la symphonie, et non l'inverse. »
Les films de Bill Morrison – Notes sur l’imaginaire de la ruine au cinema, André Habib, 2004