Ecrans Variables
Incontournable underground
Mercredi 10 octobre 2018 – 18 hPériode charnière dans la société américaine et occidentale, la décennie des années 1960 vit émerger un foisonnement créatif aux formes inédites. Ouvertement contestataires et libertaires ces années bousculent certains fondements de la société capitaliste marchande et de ses corollaires. L’abondance matérielle, l’opulence économique, la religion, la sexualité contenue, le patriarcat, le militarisme… sont autant de piliers que la plupart des mouvements artistiques de cette période tendent à questionner, critiquer et bousculer. Dans ce bouillonnement la création cinématographique, plastique et musicale joua un rôle majeur. C’est ce que tendra à mettre en lumière ce programme. En revenant sur quelques films incontournables ou plus méconnus, nous dresserons un tableau, forcément parcellaire, mais néanmoins significatif, des enjeux soulevés par cette période, à travers ce que l’on a coutume de qualifier de cinéma-underground.
A MOVIE, Bruce CONNER
1958 / 16 mm transféré en numérique / n&b / son / 12' 00
« A Movie (1958) de Bruce Conner est un condensé de cinéma articulant chutes de documents visuels, images trouvées dans les séries B, les films d'actualité et de soft-porn. L'ensemble est monté sans narration linéaire, explosion thermonucléaire, couronnement du pape, pendaison de Mussolini à un croc de boucher... C'est un genre de jeux visuels comme on peut parler de jeux de mots. Très représentatif de la technique du found footage, Bruce Conner a marqué l'histoire du film aussi pour son utilisation de la musique et son rythme de montage. »
SCIENCE FRICTION, Stan VANDERBEEK
1959 / 16mm / couleur / sonore / 10' 00
Ce film d’animations, constituées de découpages d'illustrations tirées de magazines, est une « satire sociale contre les fusées, les scientifiques et la manie de la compétition de notre époque. »
MOTHLIGHT, Stan BRAKHAGE
1963 / 16mm / couleur / silencieux / 4' 00
Des fragments de végétaux et d’insectes, assemblés à même la pellicule dans un minutieux collage, nous donnent à apprécier « ce qu'un papillon de nuit pourrait voir de sa naissance à sa mort si le noir était blanc et le blanc noir. »
TURN, TURN, TURN, de Jud YALKUT
1965-1966 / 16 mm / coul / son / 10' 00
Sur un collage sonore du collectif d’artistes multi-médias USCO, ce film diffuse une « alchimie cinétique des travaux de Nicolas Schöffer, Julio Le Parc, et Nam June Paik. Une forme d'exploration de la thèse de Marshall McLuhan : le medium est le message. »
AMPHETAMINE, de Warren SONBERT
1966 / 16mm / n&b / sonore / 10' 00
« Sonbert a commencé à faire des films en 1966, alors qu'il était étudiant en cinéma à la New York University. Dans ses premiers films, il a capté de façon unique l'esprit de sa génération, en s'inspirant de son milieu universitaire et des figures entourant Warhol. À la fois enjoué et provocant, AMPHETAMINE dépeint de jeunes gens se shootant aux amphétamines et faisant l'amour à l'ère du sexe, drogues et rock'n'roll. » - Jon Gartenberg
SONG FOR RENT, de Jack SMITH
1969 / 16mm / couleur / sonore / simple écran / 5' 00
«Dans ce film, Smith apparait perruqué de rouge, son alter ego Rose Courtyard assise dans une chaise roulante, parmi les détritus de son loft de Greene Street. Le film est une ré-interprétation de God Save America par Kate Smith. Vêtue d'une robe de satin rouge, serrant un bouquet de roses fanées, Rose est finalement portée afin de se tenir debout et saluée.» J. Hoberman.
SCENES FROM THE LIFE OF ANDY WARHOL: "FRIENDSHIPS AND INTERSECTIONS", de Jonas MEKAS
1963-1990 / 16mm / couleur / sonore / 37' 00
«Ce film est constitué d'images que Mekas a filmées pendant tout le temps où il a connu Andy Warhol. Ces images n'avaient pas été jusqu'alors montées, et par conséquent, pas montrées non plus. Le film s'ouvre sur l'un des concert du Velvet Underground au Dom alors que sur scène Edie Sedgwik et Gerard Malanga, muni de son fouet, dansent. Le son est strident, rauque, et accompagne admirablement les éclats de concert, puis d'une fête dans un appartement. Et puis sur ces images la voix de Jonas Mekas se fait entendre: «So long Andy, see you again for sure.»
Ainsi Jonas Mekas fait alterner des séquences qui mettent en scène le personnage public, l'artiste - la très belle séquence sur la rétrospective Warhol au Whitney Museum - avec des séquences intimistes - Warhol à la plage, ou avec des amis.
À côté de ces images, Mekas recourt, comme à son habitude, à des intertitres qui peuvent être des évocations poétiques ou des réflexions sur le film que l'on voit. Le film devenant - comme c'est souvent le cas chez Mekas - d'une part un document sur des événements vécus et d'autre part une quête nostalgique d'un passé irrémédiablement perdu. Passé qui n'est pas forcément celui que nous proposent les images. Le film est ce qui permet de renouer avec les souvenirs et par conséquent avec les émotions, et, qui sait, peut-être aussi avec la fraîcheur du regard sur les gens et sur le monde. Ce regard ne peut-être que nostalgique. «So long Andy... ». Yann Beauvais